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Election 1 et 2

 

 

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       Le bilan récent du cinéma asiatique sur le territoire français n’est pas mirobolant. La politique de distribution des films laissait entrevoir une sélection assez étrange en distribuant un nombre confortable de copies pour certains qui n’en méritait pas tant (The Duelist) et en laissant des titre comme Paprika à une sortie plus que confidentielle. À cela s’ajoute deux tendances opposées. Alors que les bacs de dvd asiatiques ont explosés en l’espace de trois années (ceux qui ont pu acheter tous les films de la Shaw brother devaient être bien riche), le public en salle, dans les festivals et pour la presse se déplace de moins en moins. Les magazines spécialisés (Mad Asia, Asia Pulp, pour les plus sérieux) peinent à sortir leurs futurs numéros. Deux des plus grands films de l’année 2006 étaient asiatiques et n’ont pourtant pas trouvés leur public (Paprika peu distribué, The Host affiche à peine 100 000 entrée, alors qu’il a battu tout les records en Corée) malgré des critiques, pour une fois, unanimes.

       Autant vous dire qu’on attaquait cette année 2007 en se disant que l’on ne verrait pas de sitôt beaucoup de perles orientales. Et pourtant, c’était sans compter sur Election 1 et 2 qui débarquent sans prévenir chez nous, certes dans 6 salles, mais ils sont là !

 

 

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         Impossible d’aborder de tels films sans s’attarder une seconde sur leur réalisateur, Johnnie To. Grâce à son Milky Way Studio, l'homme a mis en place un système lui permettant d’enchaîner les films (en tant que réalisateur le plus souvent, mais aussi en tant que producteur) à une vitesse hors du commun. Pouvant sortir quatre films la même année, Johnnie To gère ses métrages avec équité. Il alterne ainsi la réalisation de purs produits (comédies et drames dont les hongkongais sont friands) pour financer, par la suite, des œuvres plus personnelles et plus ambitieuses. Son genre favoris (et celui qui filtre jusque chez nous) reste sans conteste le polar, fonctionnant sur des codes bien établis sur lesquels il s’amuse à ajouter une touche d’originalité. Running out of time, Expect the Unexpected, The Mission, PTU, ou encore Running on Karma nous donnent une idée de l’étendue de son talent et, pour ce dernier, l’affirme clairement en tant qu’auteur majeur dirigeant son médium avec une efficacité déconcertante.

Le diptyque Election vient donc s’ajouter à cette longue liste et montre encore une fois une face cachée de Johnnie To.

 

 

            Comme son nom ne l’indique pas, l’élection du titre est celle du parrain d’une très ancienne triade delection_01e l’archipel. En effet, tous les deux ans, ceux-ci élisent leurs chefs dans ce qui ressemble à une belle démocratie (indirecte! Les habitants de Hongkong ne votent pas, 'faut pas déconner non plus). Bien sûr le caractère des candidats n’étant pas aussi posé et travaillé que nos énarques de dirigeants, la course à la présidence (et ce qui s’en suit) se fait à coup de guerres de clans, de machettes aiguisées et d’empoignades viriles. Et pourtant, Johnnie To a décidé de filmer cette course au pouvoir comme un évènement purement politique dans le but de donner une réflexion incroyablement dense du milieu politique (triade ou gouvernement). Ainsi les péripéties propres au genre sont ici utilisées pour cette cause et non pour relancer l’intrigue. Les camps se déchirent et changent de bord selon les pressions (relevant surtout de l’hypocrisie diplomatique) des deux candidats. Pourtant, dans les deux films, ce n’est pas l’élection en elle même qui constitue le climax final (dans le premier elle se situe d’ailleurs au milieu du film) mais la gestion du pouvoir et la manière dont celui-ci transforme les rapports et les caractères. À ce titre, les quelques explosions de violence viennent le plus souvent de personnages posés et constituent à chaque fois la pièce maîtresse des deux opus, le point de rupture révélant la mascarade démocratique que constitue ces élections. election2

 

         Le tout est plongé dans une photographie privilégiant les contrastes et les contre-jours, HongKong n’est plus la citée clinquante des polars habituels. La nuit est ici permanente et devient le costume universel des personnages, les habillant d’ombre et de lumière selon les situations. Elle est aussi l’élément clef de la métaphore (volontaire ou non) véhiculée par les films. Le plus impressionnant reste toutefois la totale maîtrise du rythme. Les deux films étant construits comme un immense crescendo, on se trouve transporté lentement vers une fin d’une puissance émotionnelle forte. Impossible de ne pas penser ainsi aux Parrain qui, sur ce point (et celui-là seulement), adoptent une construction identique. N’oublions pas de décerner une mention spéciale aux acteurs tous (mais alors tous) incroyables de subtilités et de contrastes (Simon Yam est absolument génial).

 

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      Reste enfin à voir le discours idéologique, évident, véhiculé par ces films. Si Johnnie To affirme ne s’être inspiré que des triades (qu’il a observées de l’intérieur pour écrire le scénario !), il est difficile de ne pas y voir une réflexion sur les rapports entre la Chine et l’ancienne colonie (Election 2 se déroule après la rétrocession), elle compose en filigrane non pas une attaque virulente mais un tableau a priori réaliste de la toute puissance continentale à laquelle HongKong ne peut que se plier (1).

 

 

       Johnnie To a ainsi réussi à donner un diptyque, fascinant, dense et indispensable. Si celui-ci a depuis tourné plus de films que Spielberg n’en a fait dans sa carrière, ça n’en rabaisse pas moins l’immense talent de ce cinéaste. De plus, les excellents chiffres que réalise Election 1 et 2 malgré sa honteuse distribution nous font reprendre espoir : les spectateurs veulent du cinéma asiatique, des histoires pleines de sang, de pouvoir, de flingues et de machettes, merci à Johnnie To de venir nous le rappeler.

 

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Election 1 et 2

De Johnnie To

Scénario : Yau Nai Hoi, Nai-Hoi Yau, Tin-Shing Yip

Musique : Lo Tayu

Photo : Cheng Siu Keung

 

Emile

(1) pour une vision plus politique du film voir l'article du film sur fluctuat

écrit le 7 février 2007

 

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