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Cinéma

Suspiria

 

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      Quelquefois, il est intéressant de se remettre en cause.

      Quelquefois… Il est assez rare en effet de se retrouver face à un mur lors d’une conversation passionnée pour un film dont il ne fait aucun doute qu’il figure parmi des meilleurs d’une génération ou/et d’un style. Il est assez rare en effet de remettre en question ses chapelles personnelles lorsque l’on prêche en zone conquise. Il est donc d’autant plus précieux d’utiliser ces situations de conflits idéologiques majeurs qu’il sont au final assez rare.

 

       Cette chapelle remise en question n’est pas la moins importante. Un nombre incalculable de cinéphiles déviant est venu y recevoir la bonne parole. Cette chapelle se nomme Sussuspiria 3piria.

Plantons tout d’abord le décors : en novembre, votre serviteur apprend avec une joie non dissimulée la ressortie de Suspiria au cinoche et ce dans une version restaurée. N’ayant même pas l’once d’une existence physique à l’époque de la sortie dudit film, je le découvre au plein cœur des années 90. Il acquiert dès lors une place toute particulière dans mon parcours cinéphilique, y revenant constamment sans en comprendre toutefois l’origine de mon attirance à la différence d’œuvres d’un Carpenter, Cameron ou Del Toro. Bref, le film suscite en moi une réaction plus passionnelle que réflexive et jusqu'à présent cela m’allait très bien !

 

        Vient donc cette soirée de novembre 2007 où, accompagné d’un camarade partageant les mêmes goûts culturels, je me prépare à ressentir les mêmes sensations, cette fois-ci partagées. La séance se déroule sans trop de soucis, j’en ressors assez ébloui. Mais rapidement, me tournant vers mon camarade, je me reçois un « orf, qu’est-ce que c’était mauvais ! ». C’était (et ce le sera probablement toujours) sa première vision de Suspiria. La culture cinéphilique de mon camarade étant plutôt impressionnante et son goût pour les œuvres de genre bien réelle, mon désappointement est immédiat.

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Ca y est, la discussion est lancée et évidemment, chacun repart chez lui sans avoir avancé sa position d’un iota. Et pourtant, cette phrase aura déclanchée en moi un bouleversement intellectuel (rien que ça). Je me décide donc, pour la première fois, d’analyser le film, de me le repasser en tête, de l’intellectualiser et d’en ressortir une théorie tellement béton que même un journaliste du Nouvel Observateur ne pourra me contredire : Suspiria est un chef-d’oeuvre et pis c’est tout. Hélas, ça n’est pas ce que j’y ai trouvé… Je m’étais, en bon fan de base, interdit d’y voir le moindre défaut et inconsciemment, il est certain que je n’en trouvais aucun. Et pourtant, petit à petit je me suis aperçu que mon attachement émotionnel avait occulté bien des aspects du film. L’exercice relevait pour moi de me mettre dans la position critique d’une personne non acquise à la cause « Argento », d’atteindre cette fameuse et fumeuse objectivité censée être à la base de tout fondement critique.

 

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       Voici ce qui doucement se dessina : la direction d’acteur tout d’abord, m’apparut comme le principal défaut, Jessica Harper en tête, les scènes avec l’aveugle venant juste après. Ce fait ayant pour désagréable effet de désamorcer la tension permanente et de sortir du film en une réplique mal lancée ou une situation au comique plus ou moins involontaire. L’histoire ensuite, ou plutôt le scénario dont on se désintéresse rapidement. L’attente se trouve plus dans la prochaine scène choc, celle qui enverra les jeunes filles mourir dans d’atroces et graphiques souffrances. Enfin et c’est probablement le principal défaut, celui qui va interdire l’entrée émotionnelle à pas mal de gens, c’est cette exubérance chromatique souvent injustifiée, du moins par l’histoire ou les personnages. Exubérance soit dit en passant extrêmement renforcée par la nouvelle copie de WildSide, celle proposée en salle et dans la nouvelle version DVD. Ces éléments, combinés avec la personnalité du réalisateur, enterrent toute finesse dans les transitions, dans les effets, dans les choix musicaux, dans le jeu des acteurs et dans la crédibilité de l’ensemble.

 

       La scène la plus significative à cet égard est celle où la jeune suspiria2amie de Suzy se retrouve poursuivie puis coincée dans une pièce et tente de s’enfuir par la fenêtre. Le tueur, visiblement pataud, n’arrive pas à soulever le loquet de la porte. Après une très longue ascension vers la fenêtre donc, la jeune fille regarde l’autre pièce puis saute délibérément dans ce qui se trouve être un parquet en fils barbelés !

       Voilà le genre de scène prompte à séparer plus encore aficionados et détracteurs. Elle montre en tout cas la volonté d’Argento d’entrer dans un spectacle total. En ce sens le rapport à la réalité est clairement dispensable, l’objectif d’une telle scène tendant à provoquer une tension émotionnelle par un jeu de montage, de lumière et surtout par un habillage musical sensé guider les émotions du spectateur. Et si par la suite le personnage semble se jeter délibérément (et assez stupidement du coup) dans un champ de barbelés, ça n’est que l’apogée narratif de l’émotion voulant être transmise par Argento. Si ce genre de « défaut » peut, d’une manière ou d’une autre être expliqué, le but est bien entendu de ne jamais avoir à se poser la question. C’est donc ici que va se situer la fracture, celle mettant d’un coté les personnes entrées émotionnellement dans le film, privilégiant dès lors le ressentit et minimisant donc les questionnements. De l’autre celles qui, n’étant pas entrées dans le film ne pourront maintenir leur intérêt et donc leur attention qu’en analysant constamment se qui se déroule à l’écran et qui hélas ne trouve bien souvent aucunes significations autres qu’émotionnelles, rendant l’ensemble extrêmement maladroit.

 

       A la suite de cette courte réflexion, il faut bien avouer qu’une petite remise en cause permet, par un petit jeu d’autoflagélation assumée, non pas de retourner sa veste mais bien de reconsidérer et si possible d’anéantir ces chapelles. Et s’il existe bien un film qui ne supporte pas l’objectivité et l’analyse, c’est bien celui-ci. Comble du paradoxe : ce film imparfait en de très nombreux points mérite pourtant (et a très justement acquis) sa place au coté des films les plus importants de l’histoire du cinéma.

Suspiria est donc une expérience à part entière dotée d’expérimentations permanentes et que la personnalité proprement anarchique (et peut-être même anarchiste) de son auteur interdit toute analyse sous peine d’en ôter sa seule et unique raison d’exister : provoquer un maximum de sensation à son spectateur. Et comme l’a dit un spectateur à mon ami, si t’as pas aimé Suspiria, pas la peine de te mettre aux films italien des 70s… celui-ci est le meilleur.

 

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Emile

le 24 decembre 2007

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